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Gérome. — Oui, madame. (À part.) Je n’y comprends rien du tout !

Il introduit Pontagnac et disparaît.

Pontagnac, entrant, très ému. — Seule !

Lucienne. — C’est vous qui me demandez ?

Pontagnac. — C’est moi ! Il y a longtemps que vous êtes là ?

Lucienne. — J’arrive !

Pontagnac. — Et… Rédillon ?

Lucienne. — Je l’attends !

Pontagnac. — Dieu soit loué, j’arrive à temps.

Il pose son chapeau sur la table.

Lucienne. — Mais que signifie cette façon de venir me relancer jusqu’ici ? Que voulez-vous ?

Pontagnac. — Ce que je veux ? je veux vous empêcher de faire une folie !… Je veux me mettre entre Rédillon et vous, vous disputer, vous arracher à lui !

Lucienne. — Vous ! Mais de quel droit ?

Pontagnac. — De quel droit ?… Mais du droit que me donnent tous les embêtements qui pleuvent sur moi depuis hier !… Comment, par amour pour vous, je me suis fourré dans le plus abominable des pétrins. J’ai deux flagrants délits sur le dos !… flagrants délits où je ne suis pour rien !… Pincé par un mari que je ne connais pas… pour une femme que je ne connais pas ! Pincé par ma femme, pour cette même femme que je ne connais pas !… Un divorce chez moi en perspective !… Un autre divorce de la dame que je ne connais pas d’avec le monsieur que je ne connais pas où je vais être impliqué comme complice !… Brouillé avec Mme Pontagnac ! La femme que je ne connais pas, venue ce matin pour me dire en accent anglais que je lui dois "le réparation" ! une altercation, compliquée de voies de fait, avec le monsieur que je ne connais pas ! Enfin, les ennuis, les procès, le scandale, tout !… tout !… tout !… j’aurais tout encouru ! et tout cela pour vous jeter dans les bras d’un autre !… C’est lui qui récolterait et moi qui serais le dindon !… Ah ! non ! non ! Vous ne le voudriez pas !

Lucienne, à part. — Attends un peu, toi !… (Haut.) Oui-dà !… comme ça se trouve !… Figurez-vous qu’en vous voyant arriver tout à l’heure je me suis dit, dans mes idées de vengeance : "Mais, au fait, pourquoi Rédillon ? Somme toute, c’est M. Pontagnac qui m’a éclairée sur l’infidélité de mon mari !"

Pontagnac. — Absolument !

Lucienne. — Si quelqu’un doit me venger, c’est lui !

Pontagnac. — Non ! Est-il possible ?…

Lucienne. — Alors, si je vous demandais…

Pontagnac. — Si vous me demandiez !… vous savez bien que je serais le plus heureux des hommes !…

Lucienne. — Oui ? Eh bien ! soyez le plus heureux des hommes ! C’est vous, monsieur Pontagnac, qui serez mon vengeur !

Pontagnac. — Non ?

Lucienne. — Oui !

Pontagnac. — Est-il possible ! Et cela chez Durillon… chez Rédillon ! quel raffinement !

Il va fermer la porte du fond et baisser les stores.

Lucienne, allant à la table. — Allons ! (Elle enlève un vêtement qui dissimule son corsage de dessous et paraît en corsage de velours noir complètement décolleté, sans manches, simplement rattaché aux épaules par une épaulette en diamants ; en même temps elle déroule ses cheveux