gaspillez ! Qu’est-ce que ça vous fait ! C’est votre femme qui paye ! Et vous trouvez ça honnête ?
Pontagnac. — Mon Dieu ! s’il est reconnu que je suis assez riche pour suffire aux exigences du ménage, il me semble que…
Lucienne. — Vraiment !
Pontagnac. — Enfin, quand Rothschild…
Lucienne. — Oui ! d’abord, vous n’êtes pas Rothschild… ou si vous l’avez été, vous devez commencer à ne plus l’être.
Pontagnac. — Qu’est-ce que vous en savez !
Vatelin, debout près de Lucienne. — Elle est dure pour vous.
Lucienne. — Et quand vous le seriez encore ! Il s’agit de fonds qui ne vous appartiennent plus ! Vous les avez reconnus à votre femme. Vous n’avez pas le droit de disposer d’un capital que vous avez aliéné.
Pontagnac. — Mais permettez, le capital, je n’y touche pas ! le voilà ! il est intact ! Vous me permettrez bien de toucher un peu aux rentes. Notez que, par contrat, j’ai la gestion des biens ! Eh bien ! pourvu que j’aie la plus grande partie en fonds d’Etat, vous ne pouvez pas trouver mauvais que je fasse quelques placements en valeurs étrangères.
Lucienne. — Quand on est marié, on ne doit faire que des placements de père de famille !
Pontagnac. — Vous parlez comme un notaire.
Lucienne. — Oui, oui, je voudrais bien voir ce que vous diriez si votre femme en faisait autant.
Pontagnac. — Oh ! ce n’est pas la même chose.
Lucienne, se levant et descendant. — Oh ! naturellement, ça n’est pas la même chose ! Ca n’est jamais la même chose pour vous autres hommes ! Allez, vous mériteriez que votre femme aille aussi un peu faire danser les fonds de la communauté à la roulette ou au jeu des trente-six bêtes.
Vatelin, descendant. — Prends garde, Lucienne ! Pontagnac va te prendre en grippe si tu lui fais comme ça la morale.
Lucienne. — Aussi n’est-ce pas pour lui que je parle ! Mais pour toi, dans le cas où il te prendrait fantaisie de suivre l’exemple de M. Pontagnac.
Vatelin. — Moi ? Oh !
Lucienne. — Ah ! tu serais mal venu de marcher sur ses traces, parce que tu sais, avec moi, ça ne serait pas long.
Vatelin, hochant la tête. — Le jeu de trente-six bêtes !
Lucienne. — Pas besoin de trente-six, je n’en prendrais qu’une, ça suffirait !
Pontagnac, avec une joie mal dissimulée. — Vrai !
Vatelin. — Mais, dites donc, ça a l’air de vous faire plaisir.
Pontagnac. — Moi ? pas du tout ! Je dis "vrai" comme on dit "c’est pas possible".
Lucienne. — Ah ! je ne connais pas Mme Pontagnac, mais je la plains.
Pontagnac. — À qui le dites-vous, madame. Je ne la trompe pas une fois sans la plaindre.
Lucienne. — Vous devez la plaindre bien souvent !
Vatelin. — J’espère au moins que, maintenant que vous connaissez le chemin de la maison, vous voudrez bien nous amener Mme Pontagnac ! Ma femme et moi serons enchantés de faire sa connaissance.
Pontagnac, à part. — Ma femme ! Ah ! non, par exemple ! (Haut.)