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» C’est vous dire que je meurs dans la foi de mon siècle. Je crois à la matière incréée, féconde, toute-puissante, éternelle. C’est la Nature des anciens. Il y a eu dans tous les temps des sages qui ont entrevu la vérité. Mûre aujourd’hui, elle tombe dans le domaine commun : elle appartient à tous ceux qui sont de taille à la porter, car cette religion dernière de l’humanité est le pain des forts. Elle la sa tristesse, elle isole l’homme ; mais elle a sa grandeur, car elle le fait libre, elle le fait dieu. Elle ne lui laisse de devoirs qu’envers lui-même ; elle ouvre un champ superbe aux gens de tête et de courage.

» La foule reste encore et restera toujours plus ou moins courbée sous le joug de ses religions mortes, sous la tyrannie des instincts. On verra toujours plus ou moins ce que vous voyez en ce moment à Paris : une société dont le cerveau est athée et le cœur dévot. Au fond, elle ne croit pas plus au Christ qu’à Jupiter, mais elle continue machinalement de bâtir des églises. Elle n’est même plus déiste : elle supprime radicalement au fond de sa pensée la vieille chimère du Dieu personnel et moral, témoin, sanction et juge ; mais elle ne dit pas un mot, elle n’écrit pas une ligne, elle ne fait pas un geste dans sa vie publique ou privée, qui ne soit l’affirmation de cette chimère. Cela est utile peut-être, mais cela est méprisable. Sortez de ce troupeau, recueillez-vous, et écrivez votre catéchisme vous·même sur une page blanche.

» Quant à moi, j’ai manque ma vie pour être né