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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

souvenir des capitaines et des soldats qu’il a perdus : « Certes, sire, et vous qui êtes appelés aux grandes charges, une des principales choses dont vous devriez avoir soin, c’est d’établir des lieux pour les pauvres soldats estropiés et blessés, tant pour les panser que pour leur donner quelque pension. Pouvez-vous moins faire, puisqu’ils vous font présent de leur vie ? Cette espérance leur fait prendre les hasards plus volontiers. Sire, à l’honneur de Dieu, pourvoyez aux pauvres soldats qui perdent bras et jambes pour votre service. »

On attendrait plutôt ce vœu d’un sage, ami des hommes, tel que La Noue qui, autant que possible, a tempéré par les qualités du cœur les cruelles nécessités de la guerre, et dont l’œuvre[1] est un admirable plaidoyer en faveur de la tolérance. Mais, on l’a déjà vu, il faut s’attendre à tous les contrastes en parlant des hommes du seizième siècle ; et où en trouver de plus marqués que chez Montluc, dont la carrière offre à tout moment le mélange du bien et du mal ? Pieux jusqu’à la ferveur, il manque de la première vertu recommandée par la religion, la compassion pour ses semblables ; rigide observateur de l’équité, on le voit sacrifier le droit à un intérêt personnel[2] ; c’est enfin

  1. Discours politiques et militaires, qu’il sera très-curieux de rapprocher des Commentaires de Montluc.
  2. Le président de Thou lui a reproché d’avoir usé de son influence pour faire introduire dans notre législation une mesure repoussée par l’équité, mais qui n’en subsista pas moins longtemps. Voyez à ce sujet l’ouvrage de M. Ch. des Guerrois sur le président Bouhier, p. 163. — Montluc ne se faisait pas faute d’ailleurs, par un reste de rouille du moyen âge, d’affecter beaucoup de mépris pour les formes et les représentants de la justice.