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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

ture d’action, si l’on peut ainsi parler. À la vérité, les choses de guerre, qui le nierait ? gagnent beaucoup à être pratiquées par des hommes qui les ont maniées, et Montluc lui-même en a fait l’observation : « Plût à Dieu que nous, qui portons les armes, prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ; car il me semble que cela serait mieux accommodé de notre main (j’entends du fait de la guerre), que non pas des gens de lettres, qui déguisent trop les choses. Et cela sent son clerc. »

Il n’en est pas ainsi pour Montluc, qui nous apprend « qu’il n’avait jamais rien écrit, ni pensé à faire des livres. » Il s’en jugeait incapable et il affectait de l’être, prompt à se railler de ceux qui à la guerre écrivaient eux-mêmes leurs dépêches ou leurs ordres. Et jamais sans doute il n’aurait pris la plume, n’eût été cette méchante arquebusade « qui lui perça le visage et à laquelle il eut l’obligation de dicter ses Commentaires. » Ajoutez l’amour de la gloire, toujours puissant sur lui, et qui lui fit craindre « que son nom se perdît et celui de tant de vaillants hommes qu’il avait vus bien faire. » Animé de cette pensée, il y puisa de telles forces que, selon le jugement d’un contemporain, « on fut bien empêché de juger auquel des deux il excella le plus, ou au bien faire ou au bien écrire[1]. » Étranger aux lettres, comme il se représente et comme il l’était en effet[2], il dut à cette absence d’éducation première une

  1. Pasquier, Lettre XVIII, 2.
  2. Son éditeur reconnaît « qu’il était destitué de la faveur des lettres. » Et lui-même, parlant de son frère l’évêque de Valence, dont il