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LE MARÉCHAL DE MONTLUC.

prit qui l’animait dans le cœur de tous ses soldats. Mêlé à leur vie, à leurs sentiments, je n’ai pas besoin d’ajouter à leurs dangers, il était tout pour eux, parce qu’il était tout à eux. Comment eussent-ils donc hésité à le suivre ? Il avait le droit de ne pas les ménager, puisqu’il ne se ménageait pas lui-même, incapable qu’il était de distinguer son intérêt du leur, et de se tirer d’un péril sans les en tirer avec lui. On cherchait un jour à lui persuader, dans un moment critique, de se sauver, et on lui en offrait les moyens. Mais lui, refusant d’accepter un salut qui n’eût pas été commun à tous les siens. « Jusqu’ici Dieu m’a conservé, dit-il, et mes soldats aussi ; je ne les abandonnerai pas jusqu’à ce que je les aie mis en lieu de sûreté. »

Cette action souveraine du chef sur les soldats qui caractérise, suivant Xénophon[1], le véritable capitaine, ne s’est donc jamais rencontrée plus complète que chez Montluc, qui ne négligeait aucun moyen pour la conserver[2]. Dans une époque ignorante et près d’un vulgaire volontiers superstitieux, il n’hésitait pas à se donner pour un homme qui lisait infailliblement dans l’avenir. « J’ai toujours fait entendre aux soldats, dit-il, que j’avais certain présage, que, quand cela m’advenait, j’étais sûr de vaincre. » Par cette confiance apparente, il répandait autour de lui une véritable confiance, gage certain du triomphe, et il s’en félicitait, « Mon assurance rendait assurés les plus timides, » en sorte « qu’ils tenaient déjà la victoire pour gagnée. »

  1. Voy. son Économique, vers la fin.
  2. « Un bon et sage capitaine rendra bons et sages les soldats. »