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HONORÉ D’URFÉ.

galant Henri IV ? D’autres allusions et d’autres portraits ne seraient pas beaucoup plus difficiles à reconnaître. Mais il faut se garder aussi de vouloir appliquer sans restriction cette clef historique à l’intelligence de tout le roman. D’Urfé lui-même a protesté contre ces interprétations forcées, en s’adressant ainsi au lecteur dans la préface de son premier volume : « Si tu en trouves qui assurent que Céladon est un tel homme et Astrée une telle femme, ne leur réponds rien ; car ils savent assez qu’ils ne savent ce qu’ils disent. »

L’admiration du temps, avec le goût du merveilleux qui s’y mêle d’ordinaire, n’en publia pas moins, comme nous l’apprend un morceau curieux de Patru[1], que l’Astrée n’était autre chose que l’histoire romancée de son auteur : supposition aussi vite accueillie par l’enthousiasme et accréditée par la vogue, qu’elle était peu conforme à la vérité. En premier lieu, d’Urfé ne fut pas un Céladon ; surtout il ne trouva pas d’Astrée ; mais il épousa Diane de Châteaumorand, qui avait été mariée en première noces à son frère aîné[2] ; et ce fut dans des vues de fortune qu’il s’unit à cette femme bizarre et dédaigneuse à l’excès, dont la compagnie lui devint bientôt insupportable. Voilà, nonobstant les clefs de

  1. Voyez, dans le tome II de ses Œuvres, les Éclaircissements sur l’histoire de l’Astrée.
  2. En 1600, après que celui-ci se fut voué à la vie religieuse. D’Urfé obtint, pour contracter cette union, une double dispense de Rome. Ajoutons que les d’Urfé ne laissaient pas d’avoir assez souvent besoin de dispense pour qu’un pape (Urbain VIII) ait dit avec humeur « qu’ils auraient besoin pour eux seuls d’une chancellerie pontificale et d’un pape tout entier. »