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HONORÉ D’URFÉ.

élever nos âmes. Il offre quelques situations dont l’intérêt est durable, parce qu’il a sa source dans la nature du cœur humain. De ce nombre est le combat de générosité que se livrent, à l’exemple d’Oreste et Pylade, Céladon et Astrée, lorsque tous deux, placés entre les mains d’un ennemi maître de leurs jours, se disputent l’avantage de mourir l’un pour l’autre. Dans ses nombreuses fictions, il en est aussi qui ne manquent ni de poésie ni de grandeur. Telle est celle où, sous les yeux étonnés du chevalier Alcidon, les ondes de la fontaine de Vaucluse se soulèvent tout à coup, et le dieu qui préside aux destinées de la Sorgues paraît pour annoncer la gloire future de Pétrarque. Des souvenirs de notre ancienne histoire sont en outre heureusement évoqués. D’Urfé, nourri des traditions de nos ancêtres, en traçant des peintures animées de plusieurs beaux faits dont la Gaule a été le théâtre, n’omet aucune occasion d’ajouter aux titres d’illustration qui font le patrimoine du pays.

Une autre circonstance ne fait pas moins d’honneur à cet écrivain : l’Astrée est un genre nouveau qu’il a introduit dans notre littérature. Il ne rencontra pas chez nous ses modèles ; il les chercha dans deux contrées voisines qui avaient jusque-là tenu en Europe le sceptre des arts. C’est ce que nous montre M. Bonafous par une savante discussion sur les sources de l’Astrée. On sait de quelle vogue jouissait alors l’Aminte, si admirée par tous les beaux esprits du temps, et par le sévère Malherbe lui-même ; on ne sera donc pas surpris que l’Astrée réfléchisse en plusieurs endroits une teinte