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HONORÉ D’URFÉ.

miers qui aient illustré la chaire chrétienne parmi nous, ne craignait pas de citer, entre les livres qu’il aimait le mieux, l’Astrée à côté de la Bible.

J’oserai le dire, toutefois : malgré ces témoignages imposants, le roman de d’Urfé, considéré dans son ensemble, ne me semble pas beaucoup plus moral que les autres ouvrages de ce genre qui exaltent la passion par le tableau des égarements du cœur. Fussent-ils destinés à les combattre, ce sont des antidotes dangereux, qui se tournent souvent en poisons. Dans l’Astrée, on ne saurait sans illusion voir une école de vertu. Çà et là, au contraire, on y trouve, comme le fait observer Bayle, un langage ou même des peintures trop libres ; et en général les femmes y paraissent moins attachées aux lois de la pudeur et du devoir qu’elles ne sont pleines de l’idée fastueuse d’une dignité voisine de l’orgueil : elles sont plutôt hautaines qu’ennemies du vice.

Ces opinions ne sont pas tout à fait celles de M. Bonafous. Avec une prédilection qui s’explique par son long commerce avec d’Urfé, il a eu pour lui les yeux de ses contemporains. La critique moderne a le droit d’être plus sévère : elle le sera, pour être équitable. Néanmoins, en jugeant une réhabilitation complète de l’Astrée et des autres livres de cette école tout à fait impossible, en déclarant même que de nos jours la curiosité littéraire fera seule pousser jusqu’au bout cette lecture, elle se gardera aussi de l’écueil d’une sévérité outrée et dédaigneuse. À un succès si prolongé, même auprès de connaisseurs habiles, ne doit-on pas assigner des