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HONORÉ D’URFÉ.

roman sérieux[1]. Son bon sens moqueur, sa plume élégante et légère, donnent alors un avant-goût du dix-huitième siècle.

Au reste, pour apprécier justement l’Astrée, on sentira le besoin d’accepter les habitudes du monde où a vécu d’Urfé. Sans doute, on serait aujourd’hui fort choqué d’entendre, au milieu et aux dépens de l’action, disserter si longuement à tout propos, parler de tout et faire intervenir Platon lui-même avec sa philosophie, assez peu comprise, assez mal exposée. Mais ces interminables dialogues répondaient au goût de la société française, douée à un degré si éminent de l’esprit de conversation. Ces discussions subtiles, qui excitent notre impatience, allaient à la curiosité d’une époque empressée de tout examiner, qui, lasse d’agir, se reposait dans ce raffinement de la pensée. Sur ces considérations on peut insister avec pleine raison. Un point plus contestable, c’est la parfaite moralité de l’œuvre[2]. Pour l’établir, on alléguera, il est vrai, des autorités fort respectables. De saints évêques, entre lesquels on remarque saint François de Sales, n’ont pas refusé à l’Astrée leur approbation[3]. Lingendes, l’un des pre-

  1. C’est le but que se proposa depuis Sorel, qui, dans son Berger extravagant, semble avoir eu particulièrement en vue de critiquer la partie sentimentale de l’Astrée.
  2. M. Bonafous, en louant d’Urfé d’avoir, dans son roman, « multiplié les caractères généreux, » lui donne l’avantage, à cet égard, sur la Fontaine, qui, au contraire, « a prodigué dans ses fables les caractères méchants. » Le rapprochement est au moins bizarre.
  3. Voyez l’Esprit de saint François de Sales, par Camus, évêque de Belley, t. VI, p. 119. Cf. Huet, Lettre à mademoiselle de Scudéri.