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HONORÉ D’URFÉ.

ne devienne quelquefois pour lui, selon l’observation d’un contemporain, un fleuve du Parnasse[1] ; mais l’imagination du style, le génie de l’expression, ces cachets qui marquent les œuvres durables, lui font défaut d’ordinaire. Peut-être même une des causes de la vogue immense dont a joui son roman, c’est qu’il ne dépassait pas, en général, le niveau commun des esprits, c’est qu’il ne devançait pas le goût des lecteurs contemporains.

Bien des circonstances se réunissent d’ailleurs pour expliquer le succès de l’Astrée. Cet ouvrage, où respire la félicité de la campagne, et que les plus douces émotions remplissent tout entier, venait à point après les agitations des partis, les clameurs de la controverse violente, les crimes des guerres de religion. On se réfugiait avec délices dans de calmes solitudes, pour y entendre parler de paix et de bonheur, pour assister à d’innocentes conversations où s’échangeaient de tendres propos. La galanterie du roi de Navarre, qui mêlait la passion aux goûts voluptueux de la cour des Valois, avait en outre renouvelé le règne des grands sentiments, et rendu à l’amour, jadis épuré au foyer de la foi chevaleresque, quelque chose de sa dignité ou du moins de sa poésie.

Au premier abord, ce pêle-mêle de noms historiques et mythologiques, d’aventures romanesques et burlesques, de fictions et d’événements réels, étonne dans l’Astrée et trouble l’esprit. Cependant, une fois initié

  1. Étienne Pasquier : voy. ses Lettres, XVIII, 10.