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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

elle que mérité, par son culte pieux pour une de nos plus grandes gloires littéraires, le titre de fille d’alliance de Montaigne, son nom, lié à la mémoire de l’auteur des Essais, nous semblerait devoir survivre. Elle a su admirer. Le sentiment de l’admiration est le cachet des âmes d’élite ; et, à notre grand regret, nous le voyons s’affaiblir de jour en jour. On dédaigne beaucoup, et l’on croirait s’abaisser en témoignant pour les talents et les vertus supérieurs un généreux enthousiasme. C’est là rime des plaies de notre état social. Comment travailler à conquérir des hommages que l’on ne voudrait rendre à personne ? Nos ancêtres, avec une noble ingénuité, qui n’ôtait rien à la dignité et à la vigueur de leur caractère, marchandaient moins aux autres ce tribut d’admiration qui élève ceux qui le payent comme ceux à qui il s’adresse. Aussi ardente dans ses sympathies que dans ses haines, mademoiselle de Gournay exerça largement cette faculté de l’admiration qui est l’une des forces et l’un des plus beaux privilèges de notre nature. Qu’il lui en soit tenu compte. Elle s’est par là montrée digne de sa bonne fortune : heureux en effet ceux à qui il est donné de s’associer, par une rencontre privilégiée, aux existences glorieuses des hommes de génie ; heureux ceux qu’ils entraînent dans une immortalité fraternelle !