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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

ces de l’Académie où s’élaborait le dictionnaire, en vue d’y solliciter une place pour les mots de sa connaissance, et assez mécontent d’ordinaire du peu d’accueil qu’ils recevaient. Voltaire plaidait aussi en leur faveur ; et Bayle était du parti de mademoiselle de Gournay, comme l’attestent ces paroles : « Tout bien considéré, cette demoiselle n’avait pas autant de tort qu’on se l’imagine, et il serait à souhaiter que les auteurs les plus illustres de ce temps-là se fussent vigoureusement opposés à la proscription de plusieurs mots qui n’ont rien de rude et qui serviraient à varier l’expression, à éviter les consonnances et les équivoques. La fausse délicatesse, ajoutait-il, a fort appauvri notre langue. »

Vers cette époque, en effet, les précieuses, dont l’influence incontestable sur notre littérature a été mêlée de bien et de mal, commençaient à fleurir. Quoique mademoiselle de Gournay, les désignant par leur nom, leur fasse volontiers la guerre sur leurs regratteries de la langue, elle est de leur bord à certains égards. Sans avoir toutes leurs réserves et leurs affectations de modestie, elle leur ressemble par le défaut de naïveté : comme son style, surchargé de science, est souvent pédantesque, il est permis de croire qu’elle prétendait, en parlant non moins qu’en écrivant, au mérite du beau langage. Elle-même nous dit que dans le monde on l’appelait dame Sapience. Mais ce qui, à nos yeux, la distingue des précieuses, ce qui communique à sa figure son principal intérêt, c’est qu’elle a conservé la franche nature gauloise et cette veine en quelque sorte indigène, qui lui fait représenter un autre âge