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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

méconnaissables[1], et contre les imprécations, les jurements, de jour en jour plus communs dans la société, qu’elle signale comme une des causes de l’altération de notre idiome.

Pour être juste envers mademoiselle de Gournay, il faut donc avouer que ses travaux sur notre langue renferment des vues sages et utiles : entre les termes dont elle a pris la défense, il en est qui nous sont restés ou revenus ; on peut même être fâché que son autorité n’ait pas prévalu pour un plus grand nombre. À cet égard, sa cause est jointe, nous l’avons dit, à celle de très-bons esprits auxquels notre langue a été personnellement redevable. Montaigne prescrivait dans les Essais de retenir du bec et des ongles les mots anciens qu’on voulait nous enlever. L’énergique d’Aubigné, d’accord en cela avec le bonhomme Ronsard, affectionnait grandement « maints vocables naturels qui sentaient le vieux, mais le libre et le français : » en dépouiller notre langue, c’eût été, à son avis, « faire servante une demoiselle de bonne maison. » Ces mêmes termes, dans la suite, étaient l’objet des regrets de Chapelle, qui se plaignait de l’épuration excessive soufferte par notre idiome. Ils trouvaient un patron non moins décidé dans La Fontaine, fort assidu aux séan-

  1. Ce ridicule était surtout celui des courtisans ; un poëte satirique de cette époque (Auvray, Banquet des Muses, vers adressés à la France, 1628) signale, à l’exemple de Henri Estienne, comme un trait caractéristique de la jeune noblesse française, l’affectation qu’elle mettait à altérer l’ancienne prononciation des mots :
    Dire chouse pour chose et courtez pour courtois,
    Paresse pour paroisse…