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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

Nous avons d’abord, de mademoiselle de Gournay, un livre d’épigrammes ; mais il ne faut pas s’attendre à y rencontrer cette piquante malice, assaisonnement du genre chez les modernes. Elle-même nous avertit qu’à la manière des anciens elle y a recherché la naïveté plus que la subtilité : il est certain que, pour eux, le trait final, la saillie mordante, n’en formait pas un caractère essentiel ; c’est ce que nous apprendrait au besoin l’anecdote que voici : Un jour qu’elle avait montré à Racan, devenu son ami, certaines épigrammes de sa façon, celui-ci, bonhomme et sans détour, en fut peu charmé et le lui avoua, alléguant qu’elles n’avaient pas de pointe. « Sans doute, répliqua l’auteur, elles sont à la grecque. » Racan, à peu de jours de là, était à un dîner auprès de mademoiselle de Gournay, qui trouva sans goût le potage qu’on leur servait, et le lui dit : « Oui, reprit l’autre, il est à la grecque. » Le mot fut entendu et fit fortune. Un méchant repas, un mauvais cuisinier, un poëme insipide, ce fut dès lors pour les rieurs, un repas, un cuisinier, un poëme à la grecque[1].

Toutes les épigrammes de mademoiselle de Gournay ne manquent pas néanmoins d’aiguillon ; on en jugera par les suivantes, dirigées, l’une contre un faux dévot, l’autre contre un auteur médisant :

  1. Menagiana, in-8o, 1693, p. 164. — Dans la préface de ses Épigrammes mademoiselle de Gournay déclare qu’elle ne veut pas, « à la façon de son siècle, les aiguiser de pointe affilée, » et elle appuie son opinion de celles de Muret et de Montaigne : par suite de ce principe, elle donne de beaucoup l’avantage au judicieux Catulle sur le pointu Martial.