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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

Mais la pauvre Didon, à son mal conjurée,
De propos en propos allonge la serée[1]  ;
Et plus le prince parle, étincelant d’attraits,
Plus le venin d’amour elle hume à longs traits…


Le second livre, comme le premier, porte la trace d’honorables efforts, assez souvent heureux. Il y a du feu et de la vigueur dans la peinture du sac de Troie. Les deux serpents envoyés de Ténédos, par une divinité ennemie, contre Laocoon et ses enfants, sont pareillement décrits avec une énergique hardiesse[2] :


 …Ils tirent vers la ville,
De grands cercles marbrés couvant la mer tranquille,
Et droit au front du port voguent de même train,
Roidissant sur les eaux l’orgueil d’un large sein :
Le chef se dresse en l’air à crête rougissante ;
Le corps rase la mer, sous ses replis glissante
Et la queue effroyable en tortis s’élargit :
Le flot sonne écumeux ; l’un et l’autre surgit ;
La flamme éclaire en l’œil, aux menaces mêlée,
Et la langue qui roue[3], à trois dards affilée,
Siffle dedans la gueule…


J’aime aussi la manière dont se trouve rendue la comparaison de Pyrrhus avec un serpent qui secoue la torpeur de l’hiver[4] :


Tel, au nouveau printemps, un fier serpent se voit,
Naguère enflé sous terre et tout transi de froid :

  1. Soirée, du latin serus.
  2. V. 203-211.
  3. Rotat (se), s’agite.
  4. . V. 471-476.