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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

plus dignes instruments des génies qui florissaient ou allaient naître.

Outre ces œuvres de morale et de critique dont nous avons présenté l’analyse, nous devons encore en prose à mademoiselle de Gournay plusieurs fragments de versions d’écrivains anciens. Si l’on se souvient du rôle important de la traduction dans cette époque et de l’action bienfaisante qu’elle a exercée sur le développement de notre langue, on ne sera pas surpris que nous arrêtions un moment notre attention sur cet ordre de travaux. Ils avaient un caractère littéraire qui n’a plus existé depuis, du moins au même degré : ce qui les faisait placer par l’opinion publique presque au niveau des produits de l’imagination. On sait avec quelle faveur fut accueillie la traduction de Quinte-Curce par Vaugelas ; elle ne lui avait pas coûté moins de trente années d’efforts, et Voltaire n’a pas dédaigné de dire que c’était notre premier bon livre écrit en prose française : il est vrai qu’il oubliait le Discours de Descartes sur la méthode. Coëffeteau avait acquis en traduisant aussi une réputation considérable qui rappelait celle d’Amyot et de Vigenère. L’Académie naissante était peuplée de traducteurs ; ils y entraient en foule, tandis que l’auteur du Cid y attendait une place dix ans encore après avoir donné ce chef-d’œuvre. Mademoiselle de Gournay, entraînée par ce goût général et salutaire, expression d’un besoin public de pureté et de correction, pensait, avec son temps et ainsi qu’elle s’exprime, que la maîtresse partie de l’âme, qui est le jugement, n’est pas moins en jeu dans le travail de la traduction