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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

cheresse de cette langue tristement réformée, que prétendaient imposer les aristarques grammairiens. Mademoiselle de Gournay, ennemie de leurs exigences, ne craint rien tant que de voir s’appauvrir notre vocabulaire. Elle demande que la langue, toujours en progrès, ne cesse de conquérir de nouvelles formes, sans abandonner aucune des anciennes ; ou plutôt « que l’on fasse un suc de la langue passée, présente et future. » Avec Cicéron, elle déclare enfin que, loin d’interdire à la pensée les instruments et les ressources dont elle dispose, il faut y ajouter au besoin par une généreuse hardiesse : Ubi res postulat, verbis imperare, non servire debemus.

Là-dessus elle est dans le vrai ; mais elle cesse d’avoir raison quand elle s’obstine à repousser également toutes les améliorations d’une école qui, exclusive ou exagérée à quelques égards, tendait du moins, pour l’avantage commun, à introduire dans le style un soin, un scrupule et un fini qui n’avaient pas existé jusqu’alors. Mademoiselle de Gournay se récrie sur la profusion de temps qu’il faudra mettre désormais à la composition de la prose et surtout des vers. Mais cet argument n’est pas de nature à toucher beaucoup le public, maître souverain des auteurs : pour lui, on le sait, le temps ne fait rien à l’affaire. Vainement Régnier, peu ami du travail, décochera aussi force traits malins contre les novateurs[1] : ils ont pour eux l’avenir. La réforme de Malherbe, sauf ses rigueurs outrées et

  1. Voyez notamment sa IXe satire, le Critique outré.