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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

L’aurore du grand siècle commençait à poindre : Corneille croissait pour la gloire de notre tragédie ; Molière et La Fontaine allaient naître ; et par une préoccupation singulière, mademoiselle de Gournay, découragée, jette l’anathème sur cet âge, « où la poésie, dit-elle, est si peu connue. » Illusion bizarre et toutefois concevable : on se résout difficilement à penser qu’après nous, si nous avons été poëtes, la poésie ne doive être en deuil et même en décadence. Comment se résigner à croire que sa jeunesse, au contraire, sera plus brillante et son essor plus vigoureux ? mademoiselle de Gournay s’imagine naïvement qu’elle a vu luire les plus beaux temps des lettres ; et, s’échauffant contre ceux qu’elle accuse de porter sur la couronne de nos auteurs une main coupable : « Mauvais Français sont-ils, s’écrie-t-elle, de vouloir ainsi flétrir un des plus riches fleurons de la gloire du pays. » Mais quoi ! Montaigne, cet excellent juge des choses de l’esprit, n’a-t-il pas aussi déclaré que Ronsard et du Bellay avaient élevé la poésie au plus haut point qu’elle put atteindre ? L’Hôpital n’a-t-il pas proclamé Ronsard le génie de la France ? grâce à lui, la langue était parvenue, suivant mademoiselle de Gournay, téméraire cette fois dans son affirmation, à cette maturité parfaite que créent les chefs-d’œuvre et qui doit les créer à son tour.

Aux yeux de mademoiselle de Gournay, il y a impiété à troubler la cendre des illustres morts qui ont honoré la seconde partie du seizième siècle. Les observations dirigées contre eux, elle les traite de pointilleries débitées par des pédants qui veulent mordre sur