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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

Gournay à servir une cause perdue, une sorte de dévouement chevaleresque qui mérite notre indulgence ; et, si elle excite un sourire, ce sourire sera doux et bienveillant. Jusqu’après le Cid et le Discours de la méthode, au milieu de l’enfantement d’un monde nouveau et des promesses d’un si brillant avenir, presque seule fidèle au culte du passé, elle ne cessa d’invoquer des dieux abandonnés. Par une singulière fortune, ses livres étaient destinés à vieillir dans le temps même qu’on les imprimait. On ne s’étonnera donc pas qu’elle ait cherché à lutter contre le torrent qui entraînait tout autour d’elle : tel est le sens de ses protestations multipliées, que nous allons passer en revue.

C’est dans le fragment intitulé : Du langage français, fragment de peu d’étendue, qu’elle déclare d’abord la guerre à ceux qui, par une délicatesse fort déplacée suivant elle, désertaient l’emploi des vieux termes indigènes ou des mots de dérivation latine. Elle reproche à ces scrupuleux « d’arracher de la langue l’uberté, la grâce et tout espoir d’enrichissement. » Ce grief ne cessera de reparaître sous la plume de mademoiselle de Gournay, qui réclame le maintien des anciennes libertés et du droit commode d’innovation dans le langage. En outre, l’aigreur de l’écrivain censuré se fait sentir dans quelques critiques adressées à ceux « qui veulent limiter la mesure du prix d’un auteur sur celle de leur intelligence ; » elle perce, entre autres, dans cette observation, assez juste d’ailleurs, que « menus scrupules de style, vraie chicane de collège, ne firent jamais un bon livre. »