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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

paraît renfermer plusieurs espèces ; mais il en est deux qu’elle s’attache à examiner de préférence : l’une qui se couvre des apparences menteuses de l’affection pour contenter, à l’aide de puissants amis, ses sentiments d’envie et de haine ; l’autre, qui s’impose le devoir de louer en toute rencontre, sans équité et sans raison, ceux dont elle se déclare les séides. Comme le précédent, ce genre d’amitié, qui de nos jours a pris le nom de camaraderie, a son principe, au rapport de mademoiselle de Gournay, dans l’intérêt privé, la cupidité et les mauvaises passions. Après cette diatribe contre les faux amis et les flatteurs, en un mot contre tous ceux qui abusent, pour le faire servir à leurs mauvais desseins, du saint nom de l’amitié, elle poursuit également les sottes finesses, que Tibère personnifie à ses yeux. La sincérité de son caractère n’en est pas moins choquée que la justesse de son esprit. Une conduite franche et loyale lui semble en effet ce qu’il y a au monde non-seulement de plus noble, mais de plus habile. Toutes les nuances de la dissimulation, tous les déguisements de la vanité sont par elles énumérés et stigmatisés tour à tour. Dans le Grief des dames, mademoiselle de Gournay s’offense de l’infériorité où son sexe est retenu, pour la vie civile comme pour les lettres, et de l’opinion qui lui interdit, en quelque sorte, d’exprimer ses jugements et ses pensées. Sous prétexte de courtoisie, ne refuse-t-on pas de discuter avec les femmes, ne les avertit-on point par un sourire qu’elles ne peuvent être admises à l’honneur d’une lutte inégale ? « Pour emporter le prix, il suffit dès lors à ces messieurs de fuir