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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

d’être fière et jalouse de titres dont elle trafiquait volontiers en mariage « pour quelques écus. »

On se rappellera, à l’honneur de mademoiselle de Gournay, qu’elle appartenait à la classe privilégiée dont elle n’a pas craint, supérieure aux préjugés de naissance, d’attaquer les travers et les prérogatives injustes. La même générosité de sentiments se manifeste dans quelques pages écrites à l’effet de prouver « que l’intégrité suit la vraie suffisance. » L’intégrité, pour elle, est le synonyme de la bonté, cet attribut divin de l’homme, comme Bossuet nous l’enseigne[1], et dont Platon avait dit que « la retrancher d’un cœur humain, c’était arracher l’autel du temple. » Pénétrée de cette vérité mademoiselle de Gournay se joint à Sénèque pour blâmer Tite-Live d’avoir écrit, au sujet d’un personnage, « que son esprit avait moins de bonté que de grandeur ; » ces deux qualités ne pouvant être séparées à son avis, ce qu’elle exprime par cette proposition : « L’homme est bon ou n’est pas grand. » Le principe qu’elle développe ensuite, c’est que l’auxiliaire le plus actif de la bonté est la culture de l’intelligence, qu’élèvent et améliorent les lettres. Dans l’antiquité, les bons livres n’étaient-ils pas la nourriture ordinaire des belles âmes ? Malheureusement les lettres, ajoutait mademoiselle de Gournay (mais on sait que c’est un peu l’éter-

  1. « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté, comme le propre caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. La bonté devait donc faire comme le fond de notre cœur. » Oraison funèbre de Louis de Bourbon. Cf. Platon, dans les Lois, liv. V.