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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

Par leur pétulance offensive, ils ne savaient que se rendre formidables les uns aux autres. Le brelan, l’ivrognerie, les femmes, c’étaient là leurs passions ; on aurait pu les appeler cavaliers de bouteille et de cabaret. Jadis Hercule avait eu un autel commun avec les Muses : par là on avait voulu témoigner que la prudence, la courtoisie et la bonté étaient inséparables de la véritable bravoure. Quant à la vaillance brutale, elle était le partage des animaux, et ne méritait par elle-même aucune estime. « Les gladiateurs, si courageux et si hardis, n’étaient-ils pas à Rome les plus méprisés de tous les esclaves ? » Sur le privilège de la naissance, mademoiselle de Gournay répétait d’ailleurs les idées de Sénèque, de Juvénal et des autres moralistes anciens ; elle montrait comme eux ce qu’il avait de futile aux yeux de la raison, ce que l’idée imaginaire qui en était le fondement avait de capricieux et de variable chez les différents peuples. À cette aristocratie, également incapable d’action et de repos, elle comparait le gentil peuple (c’est ainsi qu’elle le nomme), vrai soutien de nos rois, intrépide défenseur de l’État, et n’hésitait point à lui donner l’avantage. De son sein étaient sortis ceux qui avaient le plus illustré le pays ; et n’était-elle pas née dans ses rangs celle que se plaisait à signaler « sa plume française et surtout féminine, » la Pucelle d’Orléans, « palladium sacré de la patrie, sans lequel la France eût été anglaise depuis plusieurs siècles ? » Jamais la noblesse n’avait possédé une aussi pure, une aussi belle renommée. Il lui convenait donc de se faire pardonner son élévation par sa modestie, bien loin