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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

L’auteur a cru devoir, pour sa démonstration, s’entourer d’un formidable appareil d’arguments et d’exemples, qu’elle emprunte aux Latins et aux Grecs, aux livres sacrés comme aux profanes : de là un caractère subtil et pédantesque dans le style de ce passage, trop chargé de citations. L’une d’elles nous plaît toutefois, lorsque, amenée par son sujet à parler de l’amitié, elle s’excuse de célébrer « ce présent céleste, après les merveilles qu’en a récitées son second père. » Mais on comprend qu’elle aurait pu établir avec moins de peine qu’il nous faut ici-bas un ami pour nous aider à porter le poids de nos maux ou celui de notre bonheur, et que, si ce besoin est général, il est surtout très-vivement senti des natures supérieures : c’est qu’elles seraient comme perdues dans un désert, sans quelques compagnes dignes d’elles, à qui elles pussent se révéler et se faire comprendre.

Ces âmes d’élite se font, par malheur, de plus en plus rares, au dire de mademoiselle de Gournay. Elle s’en plaint particulièrement dans un discours sur le peu de prix de la noblesse du temps, où, revenant à ses critiques de prédilection, elle pose en principe que l’on pourra, presque toujours à coup sûr, baptiser du nom de fou le gentilhomme français : jugement trop vrai de cette race frivole qui, après avoir amassé tant de périls sur le pays, se montra si tristement impuissante à les repousser. Ce portrait peu flatté des jeunes nobles de la première partie du dix-septième siècle n’est pas sans intérêt historique. À en croire mademoiselle de Gournay, leur sottise n’avait d’égale que leur insolence.