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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

miers. On discutait alors volontiers sur la morale. Balzac, qui la revêtit des formes d’une éloquence un peu apprêtée, fit paraître ses premières Lettres deux ans avant le recueil de mademoiselle de Gournay. Celle-ci, d’après le goût du temps, agite plusieurs questions assez subtiles : l’une d’elles est à moitié religieuse. Il s’agit de la fausse dévotion ou de l’hypocrisie, contre laquelle mademoiselle de Gournay se donne carrière, en n’épargnant pas, suivant son habitude, les médisants et les railleurs : car les mauvais chrétiens sont surtout pour elle « ceux qui méprisent un des commandements principaux de Dieu, la charité envers leurs semblables. » C’est à cette espèce de pécheurs qu’elle a voué la haine la plus forte, qu’elle fait la guerre la plus obstinée. À ses yeux du reste, comme elle l’établit très-sensément, la vraie piété ne consiste pas dans l’engloutissement des messes et chapelets : on se flatterait vainement d’attraper Dieu par de tels hameçons. Ennemie jurée de l’hypocrisie, qui révolte son âme franche et droite, elle compare les faux dévots à certains hommes qui se targuent d’une générosité mensongère et ruinent de malheureux créanciers pour distribuer en fastueuses aumônes ce qu’ils devraient employer à l’extinction de leurs dettes : semblables à ce singulier homme de bien « qui allait la nuit dérober le cuir dont il faisait le jour des souliers aux pauvres, se publiant le cordonnier de Dieu. » Il faut, conclut-elle, que les vains dehors fassent place à une saine conscience, à la véritable charité, cette reine suprême des vertus ; il faut vivre dans l’accomplissement loyal