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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

rent pas à mademoiselle de Gournay, il est juste de dire qu’elle eut aussi beaucoup de patrons, d’amis dévoués, et même de sincères admirateurs. Parmi les premiers il faut nommer d’abord Richelieu, qui, malgré le poids des affaires, avait toujours quelques moments à donner aux lettres et à ceux qui les cultivaient. Ce puissant ministre la plaisanta bien un peu, mais il la protégea en revanche très-sérieusement. Une fois qu’en sa présence elle s’était servie d’un terme suranné et bizarre qui avait excité son hilarité, loin de perdre contenance, elle s’excusa spirituellement, en témoignant sa joie d’avoir pu un instant « égayer celui dont les travaux assuraient la prospérité du pays. » Tallemant rapporte un peu différemment cette aventure ; nous le laisserons parler[1] : « Bois-Robert la mena au cardinal de Richelieu, qui lui fit un compliment, tout de vieux mots qu’il avait pris dans son Ombre. Elle vit bien que le cardinal voulait rire : « Vous riez de la pauvre vieille, dit-elle ; mais riez, grand génie, riez : il faut que tout ce le monde contribue à votre divertissement. » Le cardinal, surpris de la présence d’esprit de cette vieille fille, lui demanda pardon et dit à Bois-Robert : « Il faut faire quelque chose pour mademoiselle de Gournay. Je lui donne deux cents écus de pension. — Mais elle a des domestiques, dit Bois-Robert. — Et lesquels ? reprit le cardinal. — Mademoiselle Jamyn, répliqua Bois-Robert, bâtarde d’Amadis Jamyn, page de

  1. Voyez l’édition et le passage cités plus haut. Cf. Titon du Tillet, Parnasse français, in-folio, 1732, p. 215.