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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

que de réputation, le crut, Elle lui fit mille civilités à sa mode, et le remercia surtout de ce qu’étant jeune et bien fait, il ne dédaignait pas de venir visiter la vieille (elle pouvait avoir soixante ans). Le chevalier, qui avait de l’esprit, lui fit bien des contes. Elle était ravie de le voir d’aussi belle humeur, et disait à Jamyn, voyant que sa chatte miaulait : « Jamyn, faites taire ma mie Piaillon, pour écouter M. de Racan. » Dès que celui-là fut parti, Yvrande arrive, qui, trouvant la porte entr’ouverte, dit en se glissant :

« — J’entre bien librement, mademoiselle ; mais l’illustre mademoiselle de Gournay ne doit pas être traitée comme le commun.

« — Ce compliment me plaît, s’écria la pucelle. Jamyn, mes tablettes, que je le marque.

« — Je viens vous remercier, mademoiselle, de l’honneur que vous m’avez fait de me donner votre livre.

« — Moi, monsieur, reprit-elle, je ne vous l’ai pas donné, mais je devrais l’avoir fait. Jamyn, une Ombre pour ce gentilhomme.

« — J’en ai une, mademoiselle ; et, pour vous montrer cela, il y a telle et telle chose en tel chapitre.

« Après, il lui dit qu’en revanche il lui apportait des vers de sa façon ; elle les prend et les lit.

« — Voilà qui est gentil, Jamyn, disait-elle ; Jamyn en peut être, monsieur : elle est fille naturelle d’Amadis Jamyn[1], page de Ronsard. Cela est gentil ; ici vous

  1. Poëte français du seizième siècle, que Ronsard traita comme s’il eût été son fils.