Page:Feugère - Les Femmes Poètes au XVIe siècle, 1860.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
MADEMOISELLE DE GOURNAY.

ger de celles qui, non contentes d’avoir de l’esprit pour elles-mêmes, en font profiter le public, et que nous voulions punir par les quolibets la prééminence intellectuelle d’un sexe qui a sur nous tant d’autres avantages.

Cette rancune des hommes contre l’esprit des femmes se manifesta, au sujet de mademoiselle de Gournay, par quelques niches que racontent les mémoires du temps. Parmi elles, l’aventure des trois Racan est la plus comique. Nous en devons le récit à Tallemant des Réaux[1]. Celui-ci, fort curieux d’anecdotes malignes, et assez médisant, comme on sait, après avoir peint le poëte Racan, « qui avait la mine d’un fermier, bégayait et ne pouvait prononcer son nom (l’r et le c étaient les deux lettres qu’il articulait le plus mal), » continue en ces termes : « Étant tel que je viens de vous le dire, le chevalier de Bueil et Yvrande, sachant un jour qu’il devait aller sur les trois heures remercier mademoiselle de Gournay, qui lui avait donné son livre (il s’agit de son Ombre, publiée en 1626), s’avisèrent de lui faire une malice, et à la pauvre pucelle aussi. Le chevalier y va vers une heure : il heurte ; Jamyn, c’était sa chambrière, annonce à la demoiselle qu’un gentilhomme la demandait. Elle faisait des vers, et elle dit en se levant : « Cette pensée était belle, mais elle pourra revenir, et ce cavalier peut-être ne reviendrait pas. » Il dit qu’il était Racan : elle, qui ne le connaissait

  1. Voyez ses Historiettes, tome III de l’édition de M. de Monmerqué, p. 118-123.