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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

admiration affectueuse. C’est donc bien à tort que Chapelain, au lieu de louer son dévouement courageux, lui a reproché d’avoir spéculé avidement sur une publication dont elle n’aurait pu, sans le concours bienveillant qu’elle réclama, supporter les frais considérables. Parmi les grands seigneurs dont la libéralité empêcha, comme elle nous l’apprend, que son zèle restât mutile, figurait en première ligne le cardinal premier ministre. La reconnaissance de mademoiselle de Gournay lui dédia cette magnifique édition in-folio, précédée d’une très-curieuse préface. Bayle n’en a pas sans raison recommandé la lecture, et la prédilection que mademoiselle de Gournay a témoignée elle-même pour ce morceau semblera, à qui en voudra prendre connaissance, parfaitement fondée. Après s’y être plainte du froid accueil que les Essais avaient trouvé près du vulgaire, elle relevait, avec un singulier jugement, dont les conclusions ont été acceptées, le mérite de cet ouvrage : suivant elle, « c’était une œuvre non à goûter d’une attention superficielle, mais à digérer avec une application profonde. » Par un de ces jeux de mots qu’affectionnait l’époque, elle ajoutait que « pour en décrire la langue, il fallait la transcrire ; » surtout elle s’arrêtait de préférence, entre les parties saillantes de Montaigne, à ce qu’il avait dit de l’amitié, « sur laquelle il a rencontré ce que les autres semblent seulement avoir cherché jusqu’ici, » comme aussi il avait parlé en maître « de la néantise et vanité de l’homme en l’apologie de Sebonde, pièce si rare en son espèce que le souhait n’y pouvait ajouter. » Il serait aisé de mul-