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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

liodore, qui n’avait pas craint, disait-elle, aussi éminent prélat qu’illustre écrivain, d’aborder de telles matières ; de saint Augustin, qui avait pleuré sur la Didon de Virgile ; enfin de du Perron (le rapprochement paraîtra singulier), qui avait traduit, en mourant, les plaintes de la reine de Carthage. Il eût été plus juste de blâmer dans cet opuscule, qui vise trop aux grands mouvements, une absence presque continue de vérité et de naturel. Mademoiselle de Gournay n’a garde d’être simple dans ce récit, qui, naïvement tracé, eût été plus touchant. Elle s’applique à tout orner, à tout embellir ; elle ne saurait permettre que ses personnages se désolent sans agrément : aux éclats de la douleur, aux plaintes du désespoir se mêlent en abondance des traits d’esprit et des pointes. Les discours sont d’ailleurs aussi multipliés qu’étendus ; même avant de se donner la mort, les deux héros prennent le temps de parler beaucoup, avec infiniment de soin et d’étude. Leur passion s’analyse et raisonne fort bien : chacun d’eux prouve en règle qu’il doit mourir. Cette rhétorique prétentieuse ne laisse pas que d’être pour le lecteur assez fatigante ; mais ce défaut n’était nullement particulier à l’auteur du Promenoir. On ne savait pas alors se hâter vers le dénoûment, on s’attardait dans les détours, on mêlait, on troublait à plaisir les fils du récit : la recherche des beautés de détail étouffait l’effet de l’ensemble.

La composition de mademoiselle de Gournay n’est pas néanmoins dénuée de qualités louables : on y trouve de l’intérêt et un certain feu d’imagination.