Page:Feugère - Les Femmes Poètes au XVIe siècle, 1860.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
JEANNE D’ALBRET

À ce sonnet ajoutons-en un autre adressé au même poëte ; c’est encore un compliment ou plutôt un remercîment de Jeanne d’Albret :


De leurs grands faits les rares anciens
Sont maintenant contents et glorieux,
Ayant trouvé poètes curieux
Les faire vivre, et pour tels je les tiens.

Mais j’ose dire, et cela je maintiens,
Qu’encore ils ont un regret ennuyeux,
Dont ils seront sur moi-même envieux,
En gémissant aux champs Élysiens.

C’est qu’ils voudraient, pour certain je le sais[1],
Revivre ici et avoir un Bellay,
Ou qu’un Bellay de leur temps eût été ;

Car ce qui n’est savez si dextrement
Feindre et parer, que trop plus aisément
Le bien du bien serait par vous chanté[2].


Ainsi se jouait, en vers un peu embarrassés et subtils, d’après le goût du temps, cette reine énergique qui fut enlevée à son parti dans la force de l’âge : elle succomba en 1572, deux mois avant la Saint-Barthélémy, d’une maladie instantanée, dont l’issue terrible parut suspecte. Avec une crédulité passionnée, qu’excu-

  1. On écrivait alors sçay, ce qui rendait la rime meilleure.
  2. Ce sonnet, où l’alternative des rimes masculines et féminines ne se retrouve plus comme dans le précédent, atteste que cette règle n’était pas encore établie d’une manière définitive. — Au reste, Jeanne d’Albret n’avait pas délaissé, par attachement pour le langage de la cour, son idiome natal, puisqu’elle fit traduire le Nouveau Testament en langue basque, à l’usage de ses sujets.