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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

les ont transfigurés. Si la philosophie spéculative, la religion et la théologie ouvraient les yeux, ou si elles regardaient, non en-dedans, mais en-dehors, elles ne verraient plus que ce qui est, et non ce qu’elles se figurent ou ce qu’elles supposent. Mais quoi ! les amener là, comme j’en ai la folle prétention, les désabuser, les désillusionner par ce temps de faux-semblants, d’apparences et d’hypocrisies, ce serait accomplir une œuvre de destruction et de profanation. Aujourd’hui la sainteté est en raison inverse de la vérité. Le plus haut degré de l’illusion s’appelle aujourd’hui le plus haut degré de la sainteté. La religion, à vrai dire, n’existe plus ; on l’a remplacée, même chez les protestants, par l’église, c’est-à-dire par l’apparence de la religion évaporée. Ce ne sont que des personnes très crédules et très ignorantes, qui se laissent persuader que la foi chrétienne, la vieille foi, existe encore, parce que les vieilles cathédrales chrétiennes sont encore là debout comme il y a mille ans, et avec elles tous les signes extérieurs, tout le matériel, tout le cérémonial. La religion des temps modernes n’est qu’un semblant de religion, elle ne croit pas un mot de ce qu’elle a l’air de croire. Toutefois, on est convenu que cette foi qui n’existe plus, serait censée exister toujours. De là, la colère, soit vraie soit hypocrite, qu’on a manifestée contre mon livre.

On s’est formalisé, à ce qu’il parait, surtout à propos de l’analyse que j’ai faite des sacrements.

A-t-on bien le droit, cependant, d’exiger d’un écrivain, d’un ami de la vérité, et de la vérité sans déguisements, qu’il s’incline respectueusement, hypocritement devant une idole, devant le mensonge universel ? Mon livre est une analyse à la fois philosophique et historique de la religion. L’analyse purement historique, par exemple, celle de MM. Daumer et Ghillany (voyez leurs recherches, aussi savantes que curieuses, sur l’usage religieux dans l’antiquité, de manger la chair humaine et de boire le sang humain), démontre qu’il ne faut voir dans la sainte cène des chrétiens qu’une forme noblement adoucie des anciennes immolations de victimes humaine, de sorte qu’on y consomme du pain et du vin, à la place du sang et de la chair de l’homme. Moi, au contraire, je ne fais porter mon analyse que sur le sens chrétien de la sainte cène ; je la prends telle que l’orthodoxie me l’a donnée, et je me suis imposé cette loi, de ne rechercher la véritable origine, la raison d’être