Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

En effet, vous ne rencontrerez dans ma philosophie ni la substance de Spinosa, ni le moi de Kant et de Fichte, ni l’identité de Schelling, ni l’esprit absolu de Hégel ; il n’y a en elle rien de ce qui procède uniquement de l’abstraction, de la métaphysique, de l’imagination. Son principe est un être réel, le plus réel de tous, l’être réel par excellence, en un mot l’homme. Mon livre, loin d’aller se ranger parmi les produits de la spéculation métaphysique, doit être considéré comme la fin, la conclusion, comme la solution de la spéculation et des énigmes spéculatives.

Quand cette ancienne spéculation fait parler la religion, elle lui prête des idées spéculatives, beaucoup mieux formulées, il est vrai, que d’elle-même la religion ne l’eût pu faire. Moi, au contraire, je laisse la religion s’expliquer et se prononcer son aise.

Je me borne à recueillir, copier ses paroles, je lui sers d’interprète, jamais de souffleur. Mon but unique est de faire disparaître les voiles, de découvrir, non, d’imaginer ou d’inventer. Ma seule tâche est d’y voir clair. Du reste, ce n’est pas moi, c’est la religion qui ne cesse de déifier l’homme, en disant « Dieu c’est l’homme, l’homme c’est Dieu. » Ce n’est pas moi, c’est la religion qui ne discontinue point de nier, de renier Dieu, s’il n’est qu’un être imaginaire, s’il n’est pas à la fois Dieu et homme ; c’est par elle que Dieu a été fait homme, et c’est seulement le dieu semblable à l’homme, un dieu qui sent, veut, réfléchit comme l’homme, qu’elle adore et qu’elle honore.

L’affreux crime de lèse-religion ou lèse-majesté divine, commis par moi, est donc l’indiscrétion que j’ai eue de révéler les secrets du christianisme, tels que je les ai dérobés à la théologie et malgré toutes les impostures théologiques.

À ceux qui disent que mon livre est irréligieux, négatif, destructif, athée, je réponds que son prétendu athéisme est précisément le secret, le mystère intérieur pour ainsi dire, de la religion. Elle ne croit essentiellement, consciencieusement qu’à la vérité, qu’à la divinité de la nature humaine, qu’à la divinité de l’humanité (Voyez L’Essence de la Foi chrétienne selon Martin Luther')

À ceux qui crieront que mes arguments logiques, mes développements historiques sont faux, je répondrai qu’ils feront sans doute bien de les réfuter : — mais, de grâce, que ce ne soit pas avec des injures, avec des perfidies, avec des jérémiades, ou avec des décla-