Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

accompli toute sa destinée. Aussi, des pensées qui du bout de la plume seraient directement injectées dans le sang, des idées qui deviendraient, pour ainsi dire, homme, cesseraient par là même d’être des vérités scientifiques. La distinction de la science, c’est de rester continuellement une innocente et inutile amusette de la raison abâtardie. Le caractère de la science honnête et modérée, c’est de ne s’occuper que de choses qui ne soient d’aucun véritable intérêt, ni pour l’homme ni pour la vie sociale. Si elle discute quelque question moins insignifiante, c’est avec tant de réserve, tant d’indifférence, que nul d’entre ceux qui sont vraiment hommes, n’est tenté d’y faire attention.

Mais qu’il se rencontre un savant d’un caractère courageux, chez lequel il n’y a point cette déplorable perversion du sens de la vérité, qui ose mettre à nu la racine du mal, qui ne se lasse point de provoquer une crise salutaire, de pousser vers un dénouement suprême : Oh ! alors ce n’est plus un homme, c’est un Erostrate, un sacrilège… qu’il aille à la potence ! mais non, ce ne serait pas là agir politiquement… nos lois, nos mœurs, soi-disant chrétiennes, ont horreur de la corde et puis, la corde c’est trop ouvertement la mort. Le carcan, au contraire, cet assassinat moral, cette mort civile par l’infamie, voilà une mort qui tue aussi, sans avoir l’air ; mort hypocrite, par conséquent très propre dans ce cas.

Sauver les apparences, je le répète, est aujourd’hui le dernier mot dans tous les cas difficiles.

On comprendra maintenant très bien quel scandale a dû produire mon livre sur l’essence, sur la vraie nature du christianisme. Aujourd’hui les représentants officiels les plus doctes du christianisme, les théologiens catholiques et non-catholiques, ne savent plus ce que c’est que le christianisme, ou font tout au moins semblant de l’ignorer. Qu’on lise un peu, pour s’en faire une faible idée, ce qu’ils ont écrit contre les définitions que j’ai données de la foi, du miracle, de la providence, du néant qui aurait précédé la création de l’univers, etc. Qu’on lise ensuite les témoignages historiques que j’ai cités en plus grand nombre encore dans cette édition nouvelle, et on verra que leur critique n’a prouvé qu’une chose leur ignorance aussi grande que scandaleuse.

Quoi d’étonnant, que dans un temps où l’on s’est efforce en Allemagne de réveiller l’ancienne querelle, si oiseuse aujourd’hui, en-