Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
55
RÉPONSE À UN THÉOLOGIEN

nature avec le miracle, et c’est ce qu’où voit dans sa Cité de Dieu, où le miracle est devenu naturel et la nature miraculeuse. Comment la théologie aurait-elle une idée tant soit peu rationnelle sur la nature[1] ? Si elle en avait, elle cesserait sur le champ d’être théologie. Du reste, l’extérieur du miracle, le miracle réellement accompli n’est point nécessaire pour prouver la toute-puissance si arbitraire, si capricieuse de Dieu : il suffit pour cela d’avoir la conviction ; ou comme l’exprime fort bien Aurèle Augustin (Civ. Dei, I, 21, 7) : Non ob aliud vocatur Omnipotens, misi quoniam quid quid vult potest. Niez l’essence du miracle, et vous niez celle de la religion en général.

M. Muller se trouve considérablement scandalisé par mon interprétation de la providence. J’avais dit : là où le miracle n’est plus admis, il n’y a plus de providence. M. Muller aurait dû voir que j’y parle de la providence religieuse et non de la providence naturelle ; celle-ci s’occupe de toutes les créatures, des lys comme des oiseaux, des hommes comme des poissons, elle n’est point autre chose que la nature personnifiée en être surnaturel. Le lys d’aujourd’hui se fanera demain, l’oiseau qui chante aujourd’hui se taira demain à jamais, voilà la providence naturelle, c’est-à-dire le mouvement de flux et de reflux qui est la nature. La providence religieuse, au contraire, s’empare de l’homme et l’enlève à ce flux et reflux, elle change en poésie la prose vulgaire de la nature et du bon sens, pour donner la préférence à l’homme ; jamais cette providence ne fera des miracles pour des animaux.

Mes lecteurs seront étonnés, en outre, quand je leur dirai que le théologien Muller nie l’identité entre miracle et providence ; tout comme s’il n’avait jamais lu le Nouveau et l’Ancien Testament. Dans l’un et dans l’autre les preuves principales dont la foi s’entoure sont des miracles, l’incarnation, la résurrection de Dieu le fils, etc. La providence naturelle se trouve sans doute, elle aussi, dans le christianisme, mais sans en être un élément essentiel et caractéristique, un élément chrétien, et ce fameux naturalisme re-

  1. L’archevêque dans la deuxième partie de Faust, de Goethe, s’écrie en faisant le signe de la croix : « Quoi vous osez parler de la nature, de l’esprit ? Ce n’est point ainsi qu’il est permis de parler à un chrétien, car l’esprit et la nature ont engendré un hermaphrodite satanique, le doute, qui se tient placé au milieu entre les deux… (Le traducteur.)