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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

bonté illimitée de Dieu le Bienfaisant ; un miracle divin se distingue précisément du miracle diabolique, parce qu’il a pour but direct l’utilité, le salut de l’homme ainsi les guérisons des malades, la ressuscitation des cadavres, les aliments fournis aux affamés, sont autant de désirs et de besoins humains, très légitimes ou très excusables, et satisfaits par la bonté divine. Le miracle des miracles, Dieu changé en simple homme individuel, répond lui aussi à un désir. « Voyez là-haut le trésor le plus noble, la consolation la plus sublime d’un chrétien, c’est que le Verbe, le Fils naturel de Dieu est devenu un homme doué de chair, de sang et d’os, afin que nous jouissions de cette préférence magnifique, de pouvoir dire que notre chair et notre sang, notre peau et nos cheveux, nos mains et nos pieds sont assis là-haut dans le ciel à côté de Dieu ; avec cela nous bravons le prince de l’enfer. »

Le Dieu de l’Église est parfaitement bien représenté par le Christ ; la grande et terrible Majesté divine qui brûle comme la flamme dévorante, est comparable à la pensée, mais le Christ à la parole, à la pensée prononcée ; il n’y a point de différence essentielle entre pensée et parole, pas plus qu’entre un corps fluide ou gazeux et le même corps solide. Seulement, la pensée cesse quand elle est devenue parole, le corps solide n’est plus quand il est devenu fluide, mais la foi veut que le Christ soit à la fois Dieu et homme, pensée et parole, corps solide et gaz céleste ; c’est que la foi se moque du temps et de l’espace, et qu’elle ne veut point qu’on le lui dise. Ces erreurs sont discutées dans la première partie de l’Essence du Christianisme.

Il ne faut pas, du reste, croire que la foi ait besoin, selon Luther, de voir clair ; au contraire : « Le règne du Christ sur la terre à présent, c’est le règne de la foi, il y domine par la parole, et point publiquement en essence ouverte, mais plutôt comme un soleil qu’on regarde derrière les nuages ; et tu n’as pas besoin de voir, tu dois croire ; tu n’as pas besoin d’apprendre par tes cinq sens, et tu dois, tes sens fermés, seulement écouter ce que te dit la parole divine : — Jusqu’à ce que l’heure sonnera où le Christ en finira, et viendra visiblement dans toute sa splendeur majestueuse, alors ce que tu crois aujourd’hui, tu le verras, tu l’entendras (X, 371). »

Le motif de la transfiguration de Dieu en homme, est suffisamment expliqué par l’amour de Dieu, que Luther compare naïvement