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palpable, visible, matérielle, donc le doute ne peut plus germer dans l’âme chrétienne. La matérialité des sens n’est point à mépriser ; elle contient je ne sais quel magnifique baume calmant, dont elle apaise victorieusement les blessures faites par l’idée ; la mort par exemple qui est sans contredit ce qu’il y a de plus cruel parmi tous les maux que nos idées peuvent imaginer, même la mort est la fin de l’agonie, et doit être appelée à juste titre la solution des maux, au moment où elle cesse d’être une idée, pour devenir un fait matériellement accompli. Suivez avec intelligence le cours des sens, ne les interrompez pas, ne les stimulez pas non plus ; ce que fait une source d’eau vive aux membres de notre corps, l’ensemble des sens le fait à notre raisonnement et à notre imagination ; il y a une force salutaire dans nos sens, et ils sont à leur tour purifiés et spiritualisés par notre intelligence et par notre âme. L’idée nous transporte, nous enivre, les sens nous rendent à nous-mêmes ; l’idée nous rend misanthropes, sombres, timides, l’intuition et l’expérience nous rendent courageux, philanthropes, joyeux ; de l’idée avant l’action provient le crime, la conscience se réveille à la certitude de l’action exécutée : la flamme expansive de nos sens est une flamme généreuse et vivifiante, le feu concentré de l’idée non réalisée ou non réalisable, au contraire, est un feu dévorant comme la majesté de Dieu chez Luther ; cette majesté elle aussi est un être imaginé et sans réalité.

L’anthropomorphie du culte chrétien, cette magnifique et douce doctrine qui dit au fidèle : « Ton Dieu est devenu Homme, » a fait beaucoup pour donner à la religion une force extraordinaire. En effet, un Dieu qui non-seulement revêtit la forme humaine, comme tant de dieux et de déesses dans les autres religions, mais qui réellement se rend homme, n’est point un dieu de la raison humaine comme le dieu des philosophes, ni un produit de la main des artistes, comme le Jupiter d’Olympie, la Junon d’Argos, la Minerve d’Athènes. En d’autres termes, l’idéalisme, cette activité particulière du cerveau, qu’elle se manifeste soit comme morale, esthétique, métaphysique, philosophique, soit comme religieuse chez les Israélites et les catholiques, est diamétralement opposée à la révélation chrétienne telle qu’elle se trouve dans les écrits de Luther. Et, remarquez-le bien, la thaumaturgie, cette série de miracles du Nouveau-Testament, n’est autre chose que la preuve visible de la