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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

précisément cette matérialité métaphysique, si je puis m’exprimer ainsi, qui enthousiasme Luther à ce point qu’il s’écrie : « Ah, les païens eux-mêmes ont dû apprendre à la fin, que la pensée humaine ne peut point atteindre Dieu, contentons-nous donc du verset (saint Jean, verset VIII, IX) : montre-nous le père. Mon ami, ne te berces point dans des songes plus ou moins chimériques, n’oublies jamais le grand mot que voici : Quiconque me voit, voit aussi mon père (X, 38). Je suis un Dieu non révélé, je ne le resterai point, je me manifesterai tout en restant Dieu comme auparavant ; je veux me faire homme, c’est-à-dire je vous enverrai mon fils, et alors vous verrez si vous êtes élus au bonheur céleste ou non, Regardez-là, mon fils, vous l’écouterez, et alors vous me comprendrez sans faute. En effet Dieu s’est manifesté par sa grande grâce, cela veut dire par son amour paternel pour les hommes, il nous a donné son image visible et palpable, et cette image c’est le Fils de Dieu, c’est Dieu. Il nous prouve cela par des arguments matériels, je vois l’eau dans le baptême, je vois le pain et le vin dans la sainte Cène, je vois le ministre du Verbe ; tout ceci est corporel, matériel, physique. Ah ! qui se permettrait un doute ? (II, 479)… Il a habité parmi nous, mais ne dites pas qu’il a été vu parmi comme par exemple l’ange Gabriel, au contraire, Dieu est devenu un homme, et il a mangé avec nous, bu, prié, pleuré, il s’est mis en colère avec nous, et en agissant ainsi il n’a point été un spectre. Ce sont les Manichéens qui, scandalisés de la mort de Dieu, enseignent que le Christ a vécu sans manger et boire, et que les Juifs ont attaché à la croix un spectre (IX, 457). » Le Christ est évidemment l’humanité en Dieu, l’essence divine humanisée sous une forme réelle et physique, et par conséquent irréfutable, car ce qui existe pour les sens, existe sans doute aussi pour l’intelligence qui, à tout moment, peut très facilement s’en emparer, tandis que ce qui existe pour l’intelligence n’est point pour cela aussi un objet des sens.

Luther a raison quand il dit que tout mortel se représente Dieu sous la notion d’un être bienveillant ; mais, ajoute-t-il, cet être n’étant qu’une idée invisible, impalpable, impondérable, il naît dans l’âme humaine un doute sur la bonté de ce Dieu ; ce doute mène directement à l’idolâtrie. Les chrétiens, toutefois, sont soutenus par la parole divine, qui leur montre Dieu sous la forme