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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

sous la souveraineté de cette toute-puissance divine, qui elle-même est soumise à la bonté divine. Or, comme Dieu n’existe que pour toi, toutes les existences ne sont que pour toi, tu es maître de l’univers de par le Seigneur. Citons Luther : « Dieu peut tout, mais il ne veut que ce qui est bon (XVIII, 304). Dieu est tout-puissant donc il nous impose de ne lui demander que ce qui serait utile pour nous (XI, 607). Dieu peut tout ; eh bien ! me manquerait-il une chose ? Non, car il peut donner tout à l’homme chrétien ; celui-ci peut dire à l’enfer et à Satan, à la mort et à la douleur : vous tous, vous n’êtes point capables de me nuire, le Seigneur a mis ses pieds sur vous, et moi j’appartiens au Seigneur (XIII, 312). La glace et la neige sont à lui ; elles ont été créées par lui, il leur commande et point Satan. Il leur impose de répandre le froid, mais pas plus qu’il ne le veut lui, et pas plus que nous ne le pouvons supporter ; si le prince de l’enfer, au contraire, gouvernait la neige et la glace, il n’y aurait jamais été ni printemps, et le froid tuerait tous les hommes d’une fois en les changeant en glaçons (VI, 565). Enfin, Dieu a su construire d’une gouttelette d’eau la lune et le soleil, le ciel et la terre ; à plus forte raison il protégera mes membres contre les adversaires et contre Satan, de même qu’il réveillera mon pauvre corps quand il aura été mis sous terre. Nous voyons par là le pouvoir immense de Dieu, et qu’il saura faire et défaire tout ce qu’il voudra et remplir toutes les promesses qu’il a faites » (I, 315).

La toute-puissance, en effet, affirme les promesses divines ; la promesse de la rémission des péchés, de la vie éternelle, de la force des prières, toutes, sous la forme d’un article octroyé par la grâce divine, sont réellement autant de désirs personnels de l’homme. À quoi servirait une promesse qui ne se rapporterait à un objet vivement désiré ? Ainsi, la promesse d’une vie future se rapporte au désir, très naturel, de vivre aussi longtemps que possible ; celle de la rémission des péchés se rapporte au désir d’avoir la conscience nette. La toute-puissance divine se rapporte au désir d’être émancipé de toute sorte de limite, de borne et d’obstacle, soit dans l’espace et le temps, soit dans le domaine des choses intellectuelles ou morales.

Ainsi, ce qui est contre nous, ne dérive pas directement de Dieu ; la foi chrétienne, pour expliquer tant soit peu les lacunes et les mi-