Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/507

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

si vulgaire de l’eau le leur agréa. L’eau n’appartient pas seulement à l’hygiène physique, mais aussi à l’hygiène psychique, à la pédagogie, à l’éducation de l'’homme. La propreté c’est assurément la première de toutes les vertus, mais aussi en même temps la vertu primitive, la plus modeste, la plus immédiate, la première marche que le barbare doit avoir occupée quand il veut monter plus haut vers la civilisation.

Le baptême chrétien n’est évidement qu’un reste des antiques religions naturelles, où (comme dans le parsisme sabéen et angelo-démonien) l’onde était objet religieux : voyez « Le mythe sacré, etc. » par Rhode (p.303, 426). Mais dans elles, il faut le dire, le baptême avait une signification beaucoup plus vraie et par conséquent plus profonde que dans la religion chrétienne. Aux yeux si naïfs et si sains de ce païens de l’antiquité, l’eau avait une énergie naturelle, et méritait par là d'être employée dans le culte de leurs divinités. Mais nos chrétiens sont trop spéculatifs, trop théologisés, trop supranaturalisés, trop aristocrates pour ainsi dire, pour s’en occuper ; ou plutôt ils en sont radicalement incapables ; leur sensibilité naturelle s’est affaiblie.

Les Perses, les Hindous, les Égyptiens, les Hébreux, imposaient comme un devoir religieux la propreté des corps : les cénobites et les saints du christianisme objectivaient dans leur malpropreté corporelle le principe anti-naturaliste ou supranaturaliste de leur religion. Ce qui est supra naturaliste en théorie est contre-nature en pratique ; celui-là n’est qu’un euphémisme.

L’eau est le premier et le plus rapproché d’entre tous les moyens, pour nous mettre en rapport direct et amical avec la nature universelle. Le bain à l’eau est en quelque sorte un procédé chimique, dans lequel notre égoïté se résout dans l'objectivité de la nature ; l’homme qui remonte à la surface d'une rivière où il était descendu ne se sent-il pas devenu un autre homme ? comme rené ? comme renouvelé ? comme rajeuni ? Et dans le rajeunissement, dans ce renouvellement de l'organisme, n’y a-t-il pas une amélioration ? Et le baptême ne veut-il pas précisément améliorer l’homme ?… On a raison de prêcher l’inefficacité de la morale sans les sacrements ; mettons seulement les sacrements naturels et réels à la place des sacrements surnaturels et chimériques.

La morale n’est rien, ne peut rien, sans la nature : elle doit se