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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

main. « Le Seigneur dit à Gédéon : Il y a trop de tes compatriotes qui t’accompagnent, je ne veux pas maintenant te livrer Madian ; Israël serait capable de se vanter contre moi le Seigneur et de s’écrier : Voilà ma propre main qui vient de me sauver, etc. (Ne Israel sibi tribuat quæ mihi debentur), » Comme on lit Livr. des Juges, VIII, 2. Ainsi dit le Seigneur : Que tout homme soit maudit qui espère en un autre homme, et que tout homme soit béni qui se repose sur le Seigneur et qui a de la confiance dans le Seigneur : Jérémie, XVIII, 3. En effet, Dieu ne veut point prendre notre fortune, nos biens, notre corps ; il l’a donné à l’Empereur (c’est-à-dire à l’État) et à nous par l’entremise de l’Empereur. Mais le cœur, le cœur, qui est tout ce qu’il y a de mieux et de plus grand dans l’homme, le cœur, il l’a retenu pour lui-même : « Donnez à Dieu votre cœur, cela lui suffit, car par le cœur vous croyez (Luther, XVI, 505). »

Nous trouvons que dans une époque ou tout !e monde était croyant, le mariage, la propriété et la loi civile jouissaient d’un certain respect[1]. La cause en doit être recherchée dans la conscience simple, naïve, pure et juste de cette époque, une conscience qui marcha droit avec le bon sens naturel, qui n’avait assurément rien à démêler avec le sentiment religieux de l’époque. Le droit, la propriété, l’amour ne sont sacrés que par leur nature, et non par je ne sais quelle ordonnance étrangère : les païens vénèrent la lumière, la fontaine, la forêt non parce qu’elles sont des dons de la divinité, mais parce qu’elles sont par elles-mêmes des objets salu-

  1. Le respect du christianisme pour la famille, le mariage, la vertu de la femme et du mari était très grand, à entendre les apologistes. Ce respect était en effet tel, que la prostitution païenne fut maintenue et même légalisée (malgré les déclamations des églises catholique et protestante, qui déclarèrent le mariage, ce sacrement, pour un excellent remède contra fornicationem), tel que la polyandrie et la polygamie sous la forme de la débauche furent maintenues, tel enfin que le mariage même fut dégradé à un acte de convenance, d’obéissance, de finance, etc., c’est-à-dire devint tout autre chose excepté la réalisation de la notion amour. Ce qu’il y eut là de vraiment ironique, de satanique, c’est que le christianisme, qui regarde le mariage comme un remède contre le peccatum turpissimum omnium, comme il appelle la fornication, rendit ce remède impossible à la moitié ou à la plupart des chrétiens en les rejetant dans le célibat, soit sacré, soit profane, soit volontaire, soit involontaire. (Le traducteur.)