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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

que la philosophie appelle les déterminations positives du Genre. L’individu ne peut ni imaginer ni penser aucun autre Être Absolu, ne peut ni sentir ni aimer aucun autre Être Suprême, que l’essence de la Nature humaine et de la Nature extrahumaine. La Nature est double, pour ainsi dire : l’une, qui est à l’Homme, ou qui est plutôt le monde humain même, l’Homme même ; l’autre, qui est tout ce qui est en dehors de l’Homme, la Nature proprement dite. Or, c’est de l’une comme de l’autre de ces deux natures, qui ne font qu’une, que la divinité se compose. Et remarquez-le bien, l’homme et la nature s’appartiennent réciproquement : d’un côté, l’homme fait partie intégrante de l’essence de la nature universelle (ce que le matérialisme vulgaire ne sait pas), et d’un autre côté, la nature appartient à l’essence de l’homme (ce que l’idéalisme subjectif oublie toujours). Quand l’union rationnelle et morale de l’Homme et de la Nature sera accomplie, alors, mais seulement alors, l’égoïsme supranaturaliste du christianisme sera vaincu pour toujours.

Ma philosophie agit envers la religion par une méthode critique, et non par une méthode simplement négative. Je distingue entre le vrai et le faux, provoque la crise, je juge. Religion est un mot qui exprime la première conscience de l’homme, la conscience primitive que l’homme a de son moi ; et c’est par cela que les religions sont vénérables, saintes, car elles sont les traditions de la conscience primitive. La véritable critique, la vraie dialectique, procède par la voie de la logique et de la psychologie[1].

Or, ce qui est aux yeux de la religion le primitif, Dieu, cela est comme nous l’avons démontré, le secondaire ; ce Dieu n’est que l’essence humaine objectivée, il faut donc mettre au-dessus de lui et avant lui cette essence même. D’un autre côté, ce qui n’occupe

  1. La nouvelle philosophie allemande reconnaît volontiers ce qui a été élaboré par les grands encyclopédistes, par Dupuis, etc. : elle reconnaît ce que Bœlticher, Creuzer, etc. ont fait. Mais pour résoudre les énigmes de la Religion et de la Spéculation elle ne se contente point de la méthode historique, ni de la méthode astronomique, ni de la méthode symbolique, ni d’une autre méthode particulière. Elle les emploie toutes à la fois ; de là naît sa méthode universelle, c’est-à-dire logique, dans le sens le plus large de ce mot. D’après elle, il faut considérer la religion aussi du point de vue physiologique et pathologique (Le traducteur.)