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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

main n’était pas le frère du soleil, il ne pourrait jamais voir le soleil. »

Mais, réplique-t-on, ce Jésus-Christ seul, lui l’Unique, ce personnage sans pareil, cet individu à l’exclusion de tous les autres, est adoré par les chrétiens.

Cette réplique aussi est nulle. Le Christ est Un, mais il est en même temps Un pour tous ; le Christ est homme comme nous ; « Notre frère, dit le livre de la Concorde, notre cher frère est le Christ, et nous sommes chair de sa chair, et sang de son sang. » En d’autres termes, chacun se retrouve dans le Christ, chacun se trouve représenté dans lui : « Chair et sang ne se méconnaissaient pas » chante l’hymne de Herrnhuth. Luther dit : « Dans le Christ, Notre-Seigneur, existent la chair et le sang de chacun d’entre nous ; mon corps charnel gouverne et règne là-haut, donc j’ai le de croire que j’ai le droit de croire que j’y règne et gouverne en personne. Ma chair et mou sang sont devenus célestes là-haut. et j’ai le droit de m’y croire céleste moi même (Luther XVI, 534). »

Concluons. Les chrétiens adorent l’Individu humain comme Être suprême, comme Dieu ; ils font cela à leur insu, bien entendu, car c’est là précisément l’illusion de la religion. Mais enfin, ils adorent l’homme individuel, c’est constaté.

Les païens, adorant les statues de leurs dieux, adoraient la statue de marbre comme les chrétiens adorent l’individu humain : ni les uns, ni les autres n’ont conscience de ce qu’ils font. Les païens croyaient adorer leurs Dieux sous l’emblème du marbre, les chrétiens croient adorer leur Dieu sous l’emblème de la chair individuelle. L’homme religieux ne voit pas clair.

L’histoire du christianisme a eu la tâche de reconnaître la théologie comme anthropologie. L’homme, c’est le Dieu chrétien, et l’anthropologie repose renfermée dans la théologie chrétienne, comme le noyau dans la noix. La différence du protestantisme et du catholicisme (j’entends le catholicisme ancien, celui qui n’existe plus que dans des livres) se résume en deux mots : celui-ci est de la théologie, celui-là est de la christologie, ou de l’anthropologie chrétienne. Le catholicisme possède un Dieu supranaturaliste et abstrait, un Dieu surhumain et extrahumain ; la morale catholique par conséquent, exhortant l’homme à devenir semblable à son Dieu, le pousse à