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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Dieu et l’homme se trouvent dans une réciprocité, qui très souvent par Luther et les chrétiens en général a été comparée à celle qui existe entre deux époux. Si la femme s’occupe de faire le ménage, le mari est délivré de cette sorte de travaux. La femme est un être complémentaire pour l’homme, l’homme en est autant pour elle ; chacun de ces deux êtres corrélatifs doit s’unir à l’autre, pour trouver la paix et la tranquillité : tout essai contraire serait immédiatement un crime de lèse-nature. Il en est de même dans le rapport qui existe entre Dieu et l’homme. Ce que tu as en Dieu, ce que Dieu a pour toi, tu ne l’as pas en toi, et pourtant tu l’as ; non comme tu peux dire que tu as ta jambe, ton bras, mais comme tu as ta femme. Elle ne t’appartient pas comme si c’était une de tes qualités, mais comme un objet essentiellement destiné pour toi, un objet qui possède précisément toutes les choses, toutes les perfections qui te font défaut. Dieu, qui est ce que tu n’es pas, est précisément à cause de cela indispensable pour toi, comme l’aliment l’est à la faim, la boisson à la soif, la femme à l’homme. Ainsi, Dieu est vrai parce que nous sommes des menteurs, bon parce que nous sommes des pervers, généreux et humain parce que nous sommes des brutes.

Ce n’est qu’en Dieu que l’homme se complète ; cherchez et vous trouverez. Tout ce qui manque à l’homme de Luther, vous l’aurez en Dieu ; ce qui nous était échappé, ce qui était tombé dans le néant après avoir cessé d’être objet de notre activité individuelle, l’essence humaine elle-même nous apparaît de nouveau comme objet de la foi sous la forme ineffable de l’essence divine. Enfin, l’homme par lui et pour lui ne peut absolument rien, mais il peut tout dans la foi, en Dieu. Il peut même tout vis-à-vis de ce Dieu ; il peut forcer Dieu à fléchir : « Dieu cède à la volonté du croyant… » Regardez le luthéranisme et le catholicisme superficiellement, et vous y trouverez fort peu de différence. Le symbole de Nicée dit : « Dieu devenu homme à cause de nous, crucifié, enseveli et monté vers le ciel à cause de nous. » Ce symbole est la base sacrée de la foi catholique, comme de la foi luthérienne. Tout le monde sait que Luther s’est contenté de ressusciter le système de saint Augustin, mais ce que l’on ne sait point, c’est que le réformateur allemand appuie principalement sur les mots pour nous, à cause de nous, en relevant avant tout le but humain et humanitaire, dans lequel Dieu