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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

assez condescendante pour nier in praxi ce supra-naturalisme. Ce n’était toutefois qu’une négation de fait, non une négation de droit. Le catholique se permit de nier dans sa vie physique ce qu’il aurait dû affirmer, il rompit par exemple le vœu chrétien d’être chaste (le fameux malo mori quam foedari de l’évêque d’Hippone) ; le catholique comprit donc de bonne heure que ce devoir est trop au-dessus du pouvoir. Or, comment se tirer de cette difficulté ? seulement en faisant valoir le droit imprescriptible de la nature et des sens ; mais avec cela le catholique ne fait que s’enfoncer de plus en plus dans des contradictions. La théorie et la pratique se livrent un combat perpétuel ; leur choc produit perpétuellement l’hypocrisie et le cynisme. Près de deux mille ans ont prouvé à qui veut et à qui peut voir clair, que l’application des dogmes supra-naturalistes à la vie réelle, c’est-à-dire leur transformation en principes moraux, en discipline de mœurs, a produit les conséquences les plus funestes. Le touchant soupir poétique : « Adhuc proh dolor vivit in me verus homo ! » mène à coup sûr, je le répète, à deux extrémités également dangereuses au cynisme et à l’hypocrisie. Voulez-vous des preuves ? lisez l’histoire de la Famille, de l’État et de la Nationalité chez les chrétiens. Ce scandale universel qui s’était appesanti sur la chrétienté tout entière, cette émulation, si anti-humaine, si anti-naturelle, du cynisme le plus éhonté et de l’hypocrisie la plus infâme, poussa enfin la conscience allemande au désespoir, et delà naquit le protestantisme allemand[1].

Le protestantisme proclama comme foi, comme forme de la vie, l’anti-spiritualisme illégitime que les catholiques avaient été obligés à se permettre furtivement pour ne pas perdre tout à fait leur existence physique ; le protestantisme ne permit non-seulement, il ordonna l’anti-spiritualisme à l’égard de la nature sexuelle. Vous ne pouvez, dit-il, être des chrétiens dans la chair, donc vous avez

  1. La France aquitaine a sans doute, par la vaillance insurrection des Albigeois contre Rome, une priorité de temps sur l’Allemagne saxonne : Mais le luthéranisme a dû nécessairement ébranler le genre humain plus que toute autre hérésie précédente, parce qu’il en était la dernière. Après le luthéranisme l’Église (ou la religion en général, cela revient ici au même) ne verra plus d’hérésie proprement ecclésiastique : l’ère de la non-religion, de l’athéisme, ou plutôt de l’antithéisme, a commencé depuis. Elle conduit par la négation à l’affirmation, à l'humanisme. (Le traducteur)