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goûtent point. Celui qui est rassasié avant de s’asseoir à la table, ne se trouve pas même attiré par les plats les plus délicieux, au contraire, ils lui font peur (XI, 502). » Selon Luther, le fidèle, arrivé à l’état douloureux où le courage tombe, les forces s’affaissent, la confiance intérieure s’évanouit, état moral qui ressemble fort à l’exténuation produite par la faim, n’est point destiné à y rester. Luther veut que l’homme trouve en Dieu tout ce qui lui manque. Luther est inhumain envers les hommes, mais son Dieu est humain ; un homme qui a un Dieu humain n’a guère besoin d’être humain lui-même. En effet, si Dieu a ce qui manque aux hommes, alors il suffit de s’adresser à lui pour se procurer tout ce qu’on attend ordinairement d’autrui ; Dieu remplace ainsi l’homme, et l’homme n’a point besoin d’être homme, pour ainsi dire. Si Dieu pense et médite pour les hommes en se révélant et se manifestant, en prescrivant aux hommes ce qu’ils auront à penser et à dire de lui, alors ils n’ont pas besoin d’être penseurs par eux-mêmes. Si Dieu s’occupe réellement de l’homme et du salut humain, l’homme n’y a absolument rien à faire. « Le Christ le fait, par conséquent je n’ai rien à faire. Ou l’un ou l’autre, ou lui ou moi (XXII, 124). » Du reste, si Dieu a soin pour toi, tu n’as pas à t’occuper de toi, tu es donc délivré de cet égoïsme insupportable et tenace qui t’avait causé tant de chagrins et de tourments ; Dieu te porte dans ses bras, tu n’as donc plus besoin de marcher sur tes jambes qui t’ont fait plus d’une fois défaut, et qui, à tout prendre, ne te conduiraient pas aussi bien que la main que ton Dieu t’a tendue. Écoutons Luther (XXII, 517) : « O Satan ! retire-toi ; tu veux que je me soucie à cause de moi ? mais Dieu dit partout : Je suis ton Dieu, j’ai le soin de ton salut, comme saint Pierre qui dit : Jetez tout souci sur lui, car il se soucie pour vous. Et David : Jetez votre chagrin sur le Seigneur, il fera le reste pour vous. Mais voyez, le prince des enfers, l’ennemi de Dieu et du Christ, veut nous tourmenter en nous poussant dans des soucis égoïstes, comme s’il était permis, à nous misérables créatures de Dieu, d’empiéter sur le domaine de Dieu. — Les disciples du Christ n’ont rien, absolument rien à faire pour leur salut ni pour leurs péchés, les gouttes du sang divin y ont déjà fait tout ce qu’il y avait à faire, et cela suffit (VIII, 488). — Tes yeux n’ont qu’à se fermer sur toi, sache que les miens resteront ouverts pour toi, dit le Seigneur (V, 376).