Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
35
QU’EST-CE QUE LA RELIGION

dans la grâce du Dieu de la miséricorde, alors je n’ai point de mérite personnel, et si je marche avec le mérite de mes actions morales, alors je n’ai point pour base la grâce divine (XVII, 639). » Choisissez ou la grâce divine, ou le mérite humain, celui-ci détruit celle-là. Choisissez : ou papiste ou luthérien, ou maître ou valet ; avec de la fortune vous n’avez pas besoin de demander l’aumône ; désespérez de l’homme en aimant Dieu, ou aimez Dieu en désespérant de l’homme.

Luther a choisi. Il s’écrie : Vive Dieu ! à bas l’homme ! Dieu signifie, dans le langage de ce réformateur mystique, la beauté, la force, la vertu, la santé, la sainteté, la grâce ; l’homme signifie le contraire de tout ceci. Je vous défie de me montrer une doctrine religieuse. qui soit aussi divine et aussi inhumaine, aussi barbare à la fois ; le luthéranisme est un dithyrambe adressé à Dieu, une pasquinade lancée contre l’homme. Quoi de plus révoltant ? Luther pousse le rigorisme à ce point de dire que l’homme, qui a été tiré du néant par Dieu, n’est rien vis-à-vis de Dieu. Regardons toutefois de plus près, et nous découvrirons peut-être au fond de ce système religieux si antihumain, quelque chose qui nous réconciliera un peu avec lui.

Et d’abord, nous voyons que le grand bienfait de manger et de boire, n’est réellement apprécié que par ceux qui ont faim et soif : nous voyons que la faim n’est point quelque chose de définitif, mais de passager, et essentiellement destiné à disparaître après avoir rempli son but, qui est de pousser l’organisme vivant à se pourvoir d’aliments. On ne peut pas dire, qu’un être est à plaindre uniquement parce qu’il est assujetti parfois à la faim. Il ne serait réellement à plaindre, que quand cette faim le conduirait à la destruction, à la mort. De même chez Luther : « Le Seigneur Jésus-Christ n’est agréable qu’aux âmes qui sont tourmentées par la faim et la soif ; c’est un repas qui ne convient point aux âmes rassasiées (III, 545). »

« Ceux qui sont dans les angoisses de la mort, ou ont à subir les remords de leur mauvaise conscience, trouvent ce repas délicieux, car en ce cas c’est la faim qui fait la cuisine, comme s’exprime un vieux proverbe. Mais les autres qui sont endurcis, qui vivent tranquillement dans les douceurs de leur sainteté individuelle en se confiant dans leurs œuvres et sans sentir leurs péchés, ceux-là ne le