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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

côté distinctif, si la thèse était celle-ci : L’Amour, c’est l’Être absolu, l’Être suprême ; en ce cas, l’amour occuperait le rang de la substance. Or, en refoulant l’amour au rang secondaire de l’attribut, il ne remplit plus mon esprit tout entier, il ne répond pas non plus tout à fait à son sujet, c’est-à-dire Dieu est Amour et encore quelque autre chose. Le sujet est ici la nuit dans laquelle la foi se cache ; l’attribut est ici la lumière qui rayonne sur le sujet obscur. Dans cet attribut je vois se manifester l’amour, et dans le sujet je ne vois que la foi. L’amour est donc ici une notion qui se perdre bientôt de ma tête, mais la notion de la foi n’y est pas plus constante ; l’amour et la foi y alternent perpétuellement, elles montent et descendent sans relâche comme deux balances qui cherchent en vain l’équilibre. La personnalité divine. voilà ce quelque autre chose qui empêche les deux notions Dieu (le sujet) et l’Amour (l’attribut) de se couvrir géométriquement comme deux triangles congruents. Ainsi, la Personnalité de Dieu est tantôt sacrifiée à la Divinité de l’Amour, et tantôt la Divinité de l’Amour à la Personnalité de Dieu.

L’histoire atteste suffisamment cette contradiction permanente, c’est surtout le catholicisme qui préconisa l’amour comme divinité essentielle, avec tant d’ardeur que cet amour absorba entièrement la personnalité divine : mais en même temps l’amour fut sacrifiée par le catholicisme à la majesté de la foi. Ces contradictions violentes et irréfléchies sont très désagréables au raisonnement, mais il ne faut pas que la critique s’en laisse détourner.

Ainsi, la foi se tient à la personnalité individuelle et égoïste de Dieu, l’amour la nie. Dieu, c’est l’amour, signifie que Dieu n’est rien pour lui seul ; un être qui aime abandonne son indépendance égoïste, il fait de l’objet de son amour un objet essentiel de son existence. Mais en même temps où je plonge le Moi dans la profondeur de l’amour, l’idée du sujet émerge, et cela dérange de nouveau l’harmonie que l’amour avait produite entre l’être humain et l’Être divin. La foi arrive avec ses prétentions, avec son ambition et sa vanité, et elle ne laisse à l’amour que ce qui convient en général à un attribut ordinaire. La foi comprime l’élan de l’amour, elle en fait un triste abstractum, vis-à-vis duquel elle s’établit en concretum, en chose, en base. L’amour dans la foi, dont les rhé-