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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

licet qui non sine causa gladium portat, quam in suum errores multos trajicere permittantur ; » ce qui veut dire en bon et intelligible langage profane : « Conseillez aux hérétiques de se convertir, et pour les empêcher de faire de la propagande, tranchez-leur la tête. » Gardons-nous, je t’ai déjà dit, de prendre à la lettre tout mot humanitaire que la théologie prononce ; elle l’entend d’une manière spéciale, elle parle deux idiomes, ou plutôt un idiome à double sens. Quand elle dit bleu, vous pouvez être sûrs n’est point bleu, mais une autre couleur quelconque, et il est parfois difficile de savoir laquelle. Certes, la foi moderne ne produit plus de si énormes horreurs que celle du passé ; c’est uniquement parce que cette foi moderne est une foi dégénérée, à demi éteinte, éclectique, sceptique, une foi infidèle, une croyance incrédule ; bref, une foi à qui les sciences et les beaux-arts ont fini par couper les ailes et les griffes. Notre foi est atteinte de paralysie ; elle n’a plus de feu dans son cœur, elle n’allume donc plus celui des bûchers. Elle ne fait plus brûler des hérétiques, ni dans la vie en deçà de la tombe, ni dans la vie au-delà ; elle s’est singulièrement refroidie. La foi, quand elle est assez complaisante pour permettre aux hérétiques d’avoir des opinions à eux, renonce à son origine surnaturelle ; elle se dégrade par là elle-même au point de devenir une simple opinion subjective, qui pourra être victorieusement combattue à tout instant par une autre opinion subjective quelconque. Qu’on ne dise point : « La tolérance en matière religieuse est un résultat de la foi, de la doctrine, de l’amour chrétien. » L’amour chrétien n’est qu’un amour estropié, un amour falsifié, et restreint par la foi dogmatique ; de sorte que ce n’est guère l’amour qui radoucit la foi, mais bien au contraire la foi qui aigrit l’amour. L’unique cause de la tolérance religieuse, c’est-à-dire irréligieuse, c’est le doute. Oui, c’est le doute en matière de religion, le doute fort et acéré, le doute qui veille jour et nuit et qui descend au centre des objets ; oui, c’est le noble et héroïque scepticisme irréligieux, lui qui ne se laisse plus bâillonner par d’anciens préjugés et qui ne tremble pas devant le chevalet et le bûcher c’est toute cette longue série de martyrs hérétiques, sanglants et réduits en charbons, toutes ces légions pieusement immolées, oui ce sont eux, eux seuls auxquels nous devons la tolérance. Les hérétiques, que la théologie traqua en sonnant le laisser-courre pendant treize siècles, ont