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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

mer Jus Eccl. Protest., V, tit. VII, paragr.155, 157, 162, 163).

J’y insiste avec force la flamme qui consume le corps vivant du réformateur espagnol, jette un éclat de lumière sur l’essence de la foi en général. Il faut enregistrer cette exécution comme un chef-d’œuvre de signification universellement religieuse, car cette fois au moins le catholicisme n’y est pour rien. Le bûcher de Genève fut solennellement allumé par la foi chrétienne dite purifiée, ou réduite à l’Ancien et au Nouveau-Testament.

« Ne forçons pas les hérétiques à croire, » voilà une proposition très répandue chez les Pères de l’Église, mais il vaut en effet la peine d’y regarder de plus près, alors on voit que tous, sans exception, brûlent d’une sainte et méchante haine contre les hérétiques[1]. Saint Bernard dit, par exemple (Super cantica, s. 66) : « Fides suadenda est, non imponenda, » et il se hâte d’ajouter : « Quamquam melius procul dubio gladio coercerentur, illius vide-

  1. Les pères de l’Église, sans exception, font aussi les harangues les plus magnifiques pour la fraternité, l’égalité, la liberté, l’abolition de l’usure, la communauté des biens. Mais distinguons ici : il y a des Pères de l’Église où ces harangues sont purement oratoires, de beaux thèmes de rhétorique comme, par exemple, ce que Jean Chrysostôme a dit, il est impossible de le prendre au sérieux, ce serait comme si l’on prenait au sérieux un Bossuet quand il déclame : « Par là s’établit en quoi consiste l’usure puisque la loi détermine clairement que c’est le surplus, ce qui se donne au-dessus du prêt, ce qui excède ce qui est donné, et selon notre langage, etc. — « Personne n’a jamais réclamé contre ces décrets, au contraire on s’y est soumis comme on a toujours fait aux choses résolues par la tradition, par les conciles même généraux, et par les décrets, etc. — « Ç’a donc toujours été l’esprit du christianisme de croire que la défense de l’usure portée par la loi était obligatoire sous l’Évangile, et que notre Seigneur avait confirmé cette loi. » Le sophiste de Meaux n’est point plus sophiste que certains Pères de l’Église. – D’autres parmi eux parlent avec bonne foi de la fraternité, de l’abolition de l’usure, etc., mais ils ne le font que pour faire voir aux chrétiens l’affreux état où ils sont entrés par la chute d’Adam ; or, comme les conséquences de cette chute sont entièrement irrémédiable ici-bas, de sorte que pour les effacer il faut non-seulement le déicide, mais encore l’arrivée du Fils divin dans les nuages, la fin de l’univers et la grande apocatastase (après quoi il y aura le paradis céleste devant le Dieu trinitaire), il serait inutile de chercher ici-bas avant la catastrophe, à réaliser ce qu’ils donnent moins comme des préceptes pratiques que comme des soupirs. On ne saurait du reste nullement nier que les chrétiens du premier siècle dans beaucoup de localité vivaient dans un commencement de communauté. (Le traducteur)